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Carole Laure en spectacle à Montréal – Émotions mouvementées

30 janvier 1999 (QIM) – L'artiste multidisciplinaire Carole Laure dont l'album Western Shadows fut couronné d'un grand prix de l'Académie Charles-Cros en 1991 fait forte impression dans le monde de la chanson et de la chorégraphie européennes depuis quelques années. Dans son Québec natal pourtant, on se souvient avant tout de l'actrice de cinéma qui a été l'une des figures de proue du grand écran pendant plus d'une décennie. Sa carrière cinématographique, menée des deux côtés de l'Atlantique, lui assure maintenant une visibilité quasi permanente. Le 7e art permet l'ubiquité. Plus d'une vingtaine de long-métrages tournés avec Carle, Corneau ou Blier. De son propre aveu, elle n'avait jamais rêvé de devenir actrice, c'est le cinéma qui lui est "tombé dessus" quand elle a rencontré Gilles Carle au début des années soixante-dix. Son physique, à n'en pas douter, l'y prédestinait.

Mais depuis sa rencontre, voilà plus de vingt ans, avec le canadien-anglais Lewis Furey qui est toujours son conjoint, la musique a progressivement repris ses droits. Carole, toute petite, voulait devenir professeur de piano. Aujourd'hui, grâce à la complicité de son compagnon musicien, auteur-compositeur et metteur en scène, la dame sort, à quelques années d'intervalle, des disques fort intéressants (Sentiments naturels est son quatrième solo en carrière après Alibis, Western Shadows et She Says Move On).

Un complément naturel aux deux attributs précédents: la danse, composante essentielle de la rythmique urbaine contemporaine, qui donne une amplitude magnétique à la sculpturale enveloppe corporelle de madame. La femme-flamme voit dans l'art de Balanchine une dimension fondamentale de son art. « Danser fait partie de mes moeurs de tous les jours » lance la chanteuse.

C'est donc avec armes et bagages (elle a toujours une valise prête) que le couple Laure-Furey est débarqué à Montréal du 9 au 12 décembre pour présenter le spectacle pluridimensionnel Sentiments naturels, poursuivant ainsi la tournée internationale (France, Belgique, Suisse, USA, Japon) qu'elle a proposé aux parisiens voilà près d'un an (54 soirs à Paris, 50 000 spectateurs). La performance, qu'on pourrait sous-titrer par Les émotions physico-cérébrales d'une fin de siècle confuse, permet à Carole et compagnie de donner sa pleine dimension à l'album du même nom, sorti en 1997.

La collection de treize chansons avait été produite à Montréal, essentiellement avec l'aide d'ordinateurs. Cela permet d'expérimenter sans les habituelles turpitudes liées au budget et de retravailler les textures et les sons sans se soucier du temps ni des contraintes de studio. Selon Furey, « c'est là que commence la démocratisation de l'art ».

Peut-on parler d'une nouvelle Carole Laure puisque cet album a été rangé dans la case techno? Pas vraiment, car bien que se réclamant de l'univers de la musique technologique, les protagonistes y placent des mots hyper réalistes, des ambiances sonores et des artifices visuels afin de forger un univers unique, interpellant notre recherche identitaire permanente. L'interface, c'est le personnage de la québécoise. Car madame Laure, c'est d'abord un personnage!

La vraie Carole, la pudique, l'introvertie, se mélange élégamment avec la bête intuitive et sexuelle que certaines images du grand écran ont imprégné dans nos mémoires. « J'ai voulu me livrer complètement » confia-t-elle à un journaliste du Québec lors de la sortie de l'album.

Les années musique qu'elle traverse présentement permettent à Carole Laure d'exprimer sa maturité artistique et de combiner son sens théâtral aux meilleures influences musicales qu'elle réussit à s'approprier (Bjork. Beck, Massive Attack, Portishead).

Le spectacle recrée essentiellement l'album en y ajoutant la couleur, le mouvement et la chaleur épidermique.

Elle avait très hâte de proposer cette création aux montréalais mais, en même temps, il y avait un stress supplémentaire parce qu'il s'agit de sa propre ville.

« C'est un spectacle hybride, ni comédie musicale, ni tour de chant. C'est autre chose, un peu comme au cabaret » explique Lewis. Celui-ci fait d'ailleurs ici, après une absence de quinze ans, un retour sur les scènes à titre d'interprète. Le monsieur s'est même fait tirer l'oreille, mais de la manière dont l'album fut fait, « Il ne pouvait pas ne pas être là » lance Carole.

Toujours volubile et mouvante, la comédienne-chanteuse affirme que son spectacle est « de la chanson habillée en petits tableaux avec beaucoup de danse ».

Sur les planches on verra, devant un fond de scène représentant la gigantesque tête d'un cervidé à panache, quatre protagonistes: Claude Godin, ancien danseur de La La La Human Steps et acolyte de Carole sur scène depuis neuf ans, Vic Emerson, musicien-programmeur aux claviers, Lewis Furey à la danse, aux claviers et aux voix et, bien entendu la tête d'affiche qu'on n'avait pas vue dans une salle québécoise depuis Bonsoir mon amour, il y a six ans.

Cette fois-ci les musiques, principalement reprises de l'album, sont quelquefois enchaînées avec des récitatifs tirés de Shakespeare et Tchekhov. On glissera même une reproduction de la scène de la douche du film Psychose de Hitchcock. Rythmiques dansantes et orchestrées et textes introspectifs dans la continuité de leurs créations antérieures: pendant ces 90 minutes, le public verra Carole bouger sans contraintes, soulevant à l'occasion sa courte robe pour dévoiler sciemment un slip noir et modulant sa voix dans toutes les nuances du désir. Son art déshabille aussi les émotions mouvementées et crues mais formidablement actuelles parce que partagées par bon nombre de contemporains.

Cette quête inlassable de sens dans sa vie professionnelle est contrebalancée par une vie familiale qu'elle entretient méthodiquement grâce à son conjoint et à ses deux enfants, Clara 14 ans et Tomas 9 ans.

Et le cinéma? Ça viendra dans la phase suivante... L'été dernier, Carole et Lewis ont tourné à Montréal Beyond Mozambique, une adaptation d'une pièce du canadien-anglais George Walker. C'est Furey qui a réalisé le film et le moment de sortie est encore indéterminé. D'ici là, je vous suggère de repérer le spectacle!

À suivre.