Actualités

La radio commerciale musicale a-t-elle un avenir?

Un commentaire de Richard Baillargeon

22 mai 2006 (QIM) – Au moment où se tiennent de nouvelles audiences du CRTC portant sur l'Examen de la Politique sur la radio commerciale au Canada, en raison des grandes transformations qui surviennent dans ce secteur d'activités, permettez-moi d'apporter mon grain de sel. Parlant de l'avenir de la radio commerciale, plus particulièrement la radio musicale commerciale, puisque ce sont surtout les quotas et les contenus musicaux qui y sont débattus, la tournure des discussions m'amène à sortir de mon mutisme pour exprimer ce qui est à la fois mon cri d'amour pour la musique dans ses multiples formes, et une charge contre une façon terriblement réductrice d'utiliser un média que j'adore.

Ai-je bien entendu? L'Association canadienne des radiodiffuseurs aurait demandé ce qui équivaut à une réduction par la bande des quotas de musique francophone, en souhaitant que chaque chanson d'un nouvel artiste ait valeur ajoutée de 50% sur la quantité francophone exigée! Comme s'il était si douloureux et terriblement risqué de faire jouer de nouvelles pièces musicales et de nouveaux artistes. Pourtant, la production d'enregistrements musicaux et chantés est plus fournie et plus diversifiée que jamais. C'est donc que les gens, le public comme les artistes, font preuve d'une ouverture et d'une soif musicale très réelles. Ce qui est moins réjouissant, par contre, c'est l'effet d'entonnoir qu'appliquent à leur programmation les entreprises qui se disent des radios musicales mais qui reflètent très mal les goûts réels de la population. Faisons un petit exercice: pensez à toute la musique que vous écoutez ou utilisez dans vos vies, que ce soit dans de vos déplacements, lors de soirées amicales ou dansantes, ou encore celle que vous offrez en cadeau, etc. De ce lot, quel pourcentage avez-vous pu entendre à la radio commerciale (nous faisons volontairement exception de la radio publique ou communautaire, plus diversifiée par nature) au cours de la dernière semaine, du dernier mois? La réponse a de quoi faire frémir, pour quelqu'un qui entretenait encore quelque illusion.

Si le nouvel album de Pierre Lapointe, qui a fait une sortie remarquée à ce propos lors du dernier gala de l'ADISQ, ou bien le groupe Malajube que le lauréat aux 6 Félix avait cité en exemple à cette occasion, tournent maintenant sur certains réseaux, combien d'autres sont encore ignorés? Car il ne faut pas se le cacher, bien peu sont réellement boudés. La vérité est qu'on les ignore carrément. La radio, qui était encore il y a quelques décennies une référence en la matière pour une bonne partie de l'auditoire est devenue d'une telle ignorance! On a encore en mémoire cet exemple récent d'une radio, ou plutôt d'un réseau qui, voulant afficher ses top 100 francophone et anglophone en fin d'année, s'est retrouvé avec une liste de seulement quatre-vingts quelques titres différents ayant tourné en ondes au cours des derniers 12 mois... Cela vous surprend-t-il? C'est pourtant le résultat logique d'une programmation radio qui, à la limite, prétend pouvoir se passer de la production musicale de la société qui l'entoure. Doit-on crier au loup, à la paresse ou à l'incompétence? Y'a pas de quoi rire, dirait l'autre!

Au total, toutes stations (commerciales) ou réseaux confondus, le bilan pour l'année 2005 tel que cité dans un article récent du Soleil (Radio mauvaise foi - Valérie Lesage, dimanche 7 mai 2006), nous apprend que seulement 137 des 900 nouveautés (parle-t-on seulement des extraits choisis par les promoteurs ou du nombre d'albums?) québécoises auraient été diffusées entre le 1er mars et le 31 décembre. Et pendant ce temps, il est des programmateurs qui affirment le plus sérieusement du monde que la production actuelle est insuffisante pour justifier la règle de 65 % en contenu francophone. Ceci sans compter la tentation à laquelle certains succombent, vu l'exigence du 35 % canadien, de s'en tenir à ce pallier, accordant l'essentiel des autres 30 % aux enregistrements du palmarès français. Si 900 enregistrements ne permettent pas d'assurer 35 % du contenu, c'est à désespérer! Mais il y a pire: pour la même période, les 25 chansons les plus jouées à la radio représenteraient la moitié de la diffusion totale chez certains que nous aurons la délicatesse de ne pas nommer pour leur éviter la lapidation... verbale, il va sans dire.

Ces amiraux qui ont dirigé eux-mêmes leurs entreprises vers l'iceberg de l'indifférence, en ignorant les vraies attentes de l'auditoire et en se privant volontairement d'artistes ou de pièces musicales qui ne correspondent pas à leur son, vont-ils encore longtemps nous emmener en bateau? Pas étonnant dans les circonstances, que la population déserte le pont et cherche ailleurs ce que les radios ne veulent pas offrir. L'heure du réveil sonnera-t-elle un jour? Attendront-ils que le tiroir-caisse ait cessé de le faire de son côté? Alors, ils migreront vers d'autres activités, la radio n'étant pas vraiment leur projet mais seulement une façon comme une autre de faire des affaires. C'est peut-être là une des pistes de réponses: la radio dans son état actuel est entre les mains d'hommes d'affaires interchangeables, plutôt que d'être administrée par des hommes de radio. Un jour du boudin, un jour de la radio, et le lendemain des poignées de porte. Pas que les véritables hommes de radio n'existent plus, en 2006, mais auront-ils un jour voix au chapitre ou si on continuera de leur préférer les gestionnaires évoqués ci-haut?

Il faut dire que la façon de sonder les auditoires a sans doute sa part de responsabilité dans cette triste aventure. Premièrement, on s'informe de ce que les gens écoutent et non de ce qu'ils aimeraient entendre. Les statistiques ne disent pas tout! Deuxièmement, en plus de demander dans de tels sondages quelle radio on préfère, on pourrait essayer de savoir quel type de radio on aimerait écouter. On n'en est plus au temps où l'on ne jurait que par ce qu'on entendait à la radio. Les développements demandent un peu de prospection, il me semble, à moins de vouloir stagner.

Depuis un demi-siècle, il s'est produit deux où trois révolutions dans le monde musical qui n'ont pas attendu le bon vouloir des radiodiffuseurs. Si ceux-ci ont sauté dans le train en marche de la Pop Music des années 60, c'est en grande partie parce que la radio était encore le fait d'entreprises indépendantes, du moins au Québec, que chaque radio et même chaque animateur ou DJ, à l'intérieur d'une même radio, avait à coeur de répondre aux désirs de ses auditeurs et même de devancer les courants qui se profilaient à l'horizon. Une réalité et un sens de l'initiative qui de plus n'étaient pas l'apanage des métropoles mais dont on retrouvait aussi des exemples dans chaque région. Ce n'est pas de la nostalgie que d'affirmer que les après-midi de semaine, je pouvais découvrir sur les ondes de CHGB La Pocatière ou de CKBM à Montmagny, les toutes dernières nouveautés d'artistes tant locaux qu'internationaux qui étaient présentées sans filet, c'est-à-dire sans savoir quel serait leur impact, pour donner la chance aux chansons. Par la suite les demandes spéciales, par téléphone ou par cartes postales, en faisaient des succès ou des raretés méconnues. Qu'on ne vienne pas me dire qu'un processus semblable ne pourrait pas être utilisé à l'ère du cellulaire et du courriel, simonac!

D'autres courants musicaux ont fait leurs choux gras sans être nécessairement diffusés à la radio. Ni les groupes prog des années 70, ni leurs contemporains heavy metal, ni les hérauts des mouvements punk, reggae, house, etc. n'ont eu droit à un tel coup de pouce au moment de leur expansion ni après, ou si peu, ce qui ne les a pas empêchés de faire de nombreux adeptes. Combien de temps s'est écoulé entre la naissance des mouvances rap, garage, électro et le moment où ils ont trouvé leur place en ondes? Vraiment la radio, comme forme de diffusion de masse en ce qui regarde la (les) musique(s), a beaucoup de chemin à rattraper si elle ne veut pas être éliminée du paysage. Et le pire, c'est qu'elle l'aura voulu en s'isolant de plus en plus des forces vives - pour utiliser une expression typiquement québécoise - de ce qui est encore, et certains ajouteront «plus que jamais», une bouillonnante industrie!

J'ai dit.