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L'Homme à tête de chou: triste soirée

Un commentaire de Roger T. Drolet

L'Homme à tête de chou

À écouter

11 mars 2011 (QIM) – Ce n'est pas Gainsbourg, ce n'est pas Bashung, c'est la rencontre de ces deux monstres de la musique française, en différé. Car ils ne sont plus là, hélas. Pourtant, le premier avait créé cette histoire d'amour et de déchirement en 1976 pour un disque du même nom et le second, prêté sa manière et sa voix à la trame sonore enregistrée en prévision de cette oeuvre dansée qui a pris la route en Europe en 2009.

Jean-Claude Gallotta, le chorégraphe français de 61 ans, a mis en scène ce spectacle hommage à Serge pour lequel Bashung avait accepté d'interpréter les titres live lors des représentations. Malheureusement, la maladie l'a emporté avant que la production ne prenne la route. L'interprète de "Vertige de l'amour" avait tout de même accepté que les bandes enregistrées par lui sur les nouvelles orchestrations de Denis Clavaizolle soient utilisées sur scène. Nous avons pu voir et entendre ce mélange prometteur avec les 14 danseurs du Centre chorégraphique national de Genève, le 8 mars au Grand-Théâtre de Québec.

Je ne sais pas qui de Gainsbourg, de Bashung ou des danseuses et danseurs avait le plus de fans dans la salle Louis-Fréchette, mais c'est probablement le premier. Toutefois, je fais le pari que nombre d'entre eux en sont sortis déçus. Et la salle était pratiquement pleine!

Le scénario est celui d'un homme mûr qui tripe sur sa Marilou, une petite ingénue aguichante. Leur histoire devient obsessive et dérive vers une espèce de cauchemar dont on ne sait pas vraiment s'il se déroula en vrai ou seulement dans la tête du bonhomme. Sept hommes, sept femmes arpentent la scène, bougent, courent, se touchent, se bousculent, se dénudent (rarement), changent de partenaire ou s'étiolent en quadrillant le territoire. Sans aucun doute, ils font correctement leur travail. Il n'y a d'ailleurs pas UNE Marilou et UN amant aveuglé. Chaque danseur - ou tous ensemble – campent les deux personnages. Un truc qui aurait pu être plus allégorique encore.

Que se passe-il ou plutôt qu'est-ce qui ne se passe pas dans cette oeuvre? La chorégraphie ne vient pas nous chercher. Les nombreux changements de costumes (simples, trop simples) que les danseurs font en coulisse en sortant côté cour ou côté jardin, n'ajoutent rien. Et qu'on s'en aperçoive n'est pas vraiment bon signe non plus car si nous étions transportés, on ne les verrait même pas. Les éclairages assez ternes mettent à peine les danseurs en évidence. Pas de jeux d'ombre non plus.

La musique enregistrée est de tendance rock obscur. Le mix sonore n'est pas au point, certainement pas pour une salle comme celle-ci. On a peine à distinguer le texte dense, pourtant très imagé de Gainsbourg. Alors on a du mal à suivre l'intrigue déjà assez impressionniste. Mouvement et sono ne nous amènent nulle part. C'est triste... sans doute comme notre époque. Pourtant, le père de Charlotte n'était pas toujours gris. Il savait aussi être drôle, parfois tendre. Ne cherchez pas la trame sonore sur CD, la veuve de Bashung s'y oppose. Pourquoi?

Ce qu'il aurait fallu? Mélanger les époques de la carrière de Gainsbourg, afin d'alterner les états d'âme et les émotions du spectateur. Jouer des ambiances lumineuses en les modulant comme la vie, parfois enjouées, parfois mélancoliques, parfois rudes. Projeter les textes en forme de sous-titres afin d'en savourer toute l'imagerie. Inventer un décor un peu plus élaboré qu'une unique chaise, inutile, qu'on utilise mal. Embaucher de bons musiciens jouant pour vrai le métissage éclectique que Serge a su explorer brillamment au travers les époques. Enfin, plein de trucs sympas, qui n'y étaient pas. Le disque original faisait une trentaine de minutes, le spectacle soixante-quinze, sans entr'acte. C'est beaucoup, quand on s'ennuie.

Pour les absents, je suggère que vous puissiez écouter l'album original de Gainsbourg en cette période où l'on souligne le 20e anniversaire de son décès. Et pourquoi pas le reste de son répertoire tout à fait impressionnant, incluant le disque "Play blessures" de Bashung pour lequel Gainsbarre a signé les textes en 1982. Ça, c'était du bonbon anisé!