Actualités

Émile Nelligan: revivre son drame

Un commentaire de Roger T. Drolet

Nelligan (photo: Louise Leblanc)

Nelligan – photo: Louise Leblanc

À lire également
Les crédits du spectacle 2012

3 août 2012 (QIM) - Se découvrir poète et vouloir vivre pour et de son écriture n'est pas chose aisée dans le Montréal de la toute fin du XIXe siècle. Telle fut pourtant la destinée d'Émile Nelligan, magnifiquement évoquée par la création de Michel Tremblay et André Gagnon qui a pris l'affiche dans la Capitale durant le récent Festival Opéra de Québec, à la salle Octave-Crémazie du Grand Théâtre de Québec.

Forte d'une distribution impressionnante, où le fils d'un immigrant irlandais et d'une Québécoise est personnifié simultanément jeune et âgé par le baryton Dominique Côté et le ténor Marc Hervieux, l'oeuvre romantique est remarquable à plus d'un titre. Ces interprètes sont tous deux particulièrement crédibles et émouvants dans leur interprétation du personnage tourmenté qui passera les deux tiers de sa vie interné dans un couvent après y avoir été admis dès l'âge de 19 ans. À cette époque, on avait peut-être trop vite fait d'ostraciser les gens hors-normes en les taxant de « fou » et de les « enfermer » dans des asiles, ne sachant trop comment soigner leurs soi-disant psychoses... Une vie et une carrière brisées à jamais pour cet être hypersensible dont la réputation enviable mit du temps à se construire. Et pour cause puisque son travail, inspiré par le mouvement littéraire français appelé symbolisme (Verlaine, Rimbaud), aujourd'hui reconnu pour sa grande valeur, était pour le moins marginal à l'origine. Il ne pût même pas publier un recueil complet avant son hospitalisation imposée par son père. Jamais il ne réécrira un vers du reste de sa vie.

Le truc développé par le dramaturge Tremblay lors de la composition de l'oeuvre, qui fut créée pour la scène en 1990 (avec, notamment, Michel Comeau, Louise Forestier, Jim Corcoran, Renée Claude et Marie-Jo Thério), est de permettre au Nelligan vieilli et confus de revivre en souvenir les moments marquants de sa vie familiale et amicale autour de 1896. L'homme de 60 ans, malade et torturé, se reverra lui-même en compagnie de sa famille et de ses amis, à l'aube de sa vie d'adulte avec toute la charge émotive que cela comporte. Dialoguant même parfois avec lui-même à ces deux âges, Nelligan se remémore, à travers la musique et les mots qu'il aime tant, la passion pour l'écriture, ses relations tumultueuses avec son père qui le rejette ou ses fréquentations amicales, qui sont développées en plus de deux heures et 14 scènes par huit chanteurs-comédiens et appuyées de plusieurs figurantes choristes. Le jeune Émile incarné par Côté est crédible et vigoureux dans son personnage et a assurément un bel avenir dans la profession. Quant à Hervieux, méconnaissable physiquement, il est criant de vérité et s'avère un comédien bouleversant en plus de briller par sa voix magnifique.

Comme il s'agit d'un drame musical, les thèmes et mélodies surgies du piano d'André Gagnon, et ici interprétées par deux pianistes et une violoncelliste sous la direction d'Esther Gonthier, sont dignes de la réputation de leur compositeur.

La mise en scène originale de Normand Chouinard nous donne accès à la chambre du poète, à sa maison, à l'église, à son lit d'hôpital et à quelques autres endroits que Nelligan a fréquentés. De superbes costumes remettent le spectateur dans le contexte historique et les arrangements musicaux convaincants d'Anthony Rosankovic ont fait dire à André Gagnon que la production devenait ainsi un opéra de chambre. Sans doute est-il bien placé pour émettre ce commentaire. Éclairages et décor, bien que sobres, créent aussi des effets percutants.

L'ambiance générale émanant du concert en est assurément une imprégnée de tristesse même si plusieurs moments soulignent l'enthousiasme, voire l'euphorie de l'écrivain durant sa période productive.

Globalement, je peux catégoriquement affirmer que j'ai été touché par ce portrait impressionniste qui, même s'il n'est pas biographique au sens strict du terme, a assurément séduit l'auditoire de la représentation du 31 juillet qui réserva une longue ovation à la distribution.

Pour ceux qui souhaiteraient entendre des versions intéressantes des spectacles antérieurs consacrés à Nelligan avec la musique et les textes de Gagnon-Tremblay, je vous recommande, même s'ils sont difficiles à trouver sur le marché, deux disques compacts: