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La chanson et la nation: retour sur la Fête nationale

Un commentaire de Richard Baillargeon

27 juin 2006 (QIM) – Le grand spectacle du 23 juin à Québec est un moment unique dans le calendrier de nos événements annuels. De toutes les régions à la ronde et même de la populeuse Métropole à l'autre bout de la 20, on vient célébrer dans la Capitale nationale du Québec pour l'occasion. Bien que chaque municipalité, chaque quartier et de nombreuses initiatives privées soulignent à leur façon la journée-même de la Fête nationale, le 24 juin, le grand rassemblement de la veille a quelque chose d'unique. Si pour plusieurs la dimension sociale, politique ou culturelle est évidente, certains en ont fait un rituel quasi initiatique, surtout chez les décagénaires (c'est comme ça qu'on dit teenagers en français!). Première expérience de foule? premières libations loin de la surveillance parentale? première nuit blanche dans un état second? la nuit de la Saint-Jean a déjà eu bien mauvaise réputation faut-il le rappeler; heureusement, les nouvelles générations semblent afficher des comportements plus sains que leurs prédécesseurs des années quatre-vingts. Quoiqu'il en soit, une chose semble faire l'unanimité: quelle que soit la justesse des propos des porte-parole officiels - cette année, la comédienne Sylvie Léonard a livré ses tripes lors d'une profession d'amour de la langue et de la culture québécoises, célébrant le cinéma d'ici À notre image - les Québécois de tous horizons accordent une valeur sans égale à la musique et à la chanson lorsque vient le temps des célébrations.

Ce qui m'amène à la question: qu'attend-t-on de nos artistes lorsque survient un événement comme la Fête nationale? D'où je me trouvais lors du spectacle de le vendredi 23 juin 2006, tout près de la scène, j'ai pu entendre deux commentaires fort différents entre les clameurs de la foule, alors qu'approchaient le coup de minuit et la fin du spectacle télédiffusé. L'un, visiblement souverainiste et déplorant que certaines pièces interprétées ne renvoyaient pas automatiquement à la tradition de la grande chanson qui a servi de vecteur national pendant des décennies, disait «À la Fête nationale, on veut des chansons de Fête nationale» (j'ai même cru y déceler un légère nostalgie des années 70...) Un autre remarquait plutôt qu'on « y entend les mêmes chansons d'année en année; cela en devient presque pathétique » (provocation ou boutade traduisant un désenchantement politique?). La chose m'a vivement interpellé, d'autant plus que j'avais justement l'impression que les artistes sur scène avaient su trouver un juste équilibre entre la tradition et le renouvellement.

Revenons brièvement sur les performances comme telles, si vous voulez bien: tout d'abord la diversité des artistes en présence Anik Jean, Vincent Vallières, Andrée Watters, les groupes Mes Aïeux, Corbach (avec ses deux figures de proue, Pierre Harel et Marjo) et les Respectables sans oublier la dynamique France D'Amour qui animait la soirée en plus de donner de la voix et de la guitare. Ajoutons aussi les hérauts nocturnes que furent les Cowboys Fringants et Stéréotaxie. Wow! Un alignement de rêve, réunissant des artistes de trois générations et d'horizons à la fois pop, rock et d'une certaine tradition réinventée (Mes Aïeux s'appropriant un "Swing la bacaisse" à la sauce funk ou prenant à contrepartie une certaine "Dégénération"). Outre les quelques chansons tirées du répertoire de chacun (les fans qui se rendent voir leur idole participer à un tel événement doivent bien s'attendre à au moins quelques succès de son répertoire) j'ai pu constater la présence de quelques tableaux habilement amenés. Le clin d'oeil évoquant une soirée feu de camp sur le thème "Je joue de la guitare" était réussi, juste au moment où les premières flammes s'emparaient du traditionnel bûcher. Un rappel historique qui a dû en réjouir plus d'une fut la reprise de titres de chacun des protagonistes de l'événement 1 fois 5 par autant de voix féminines, trois décennies plus tard. Mais la séquence qui a permis de véritablement s'éloigner du prévisible et de l'attendu fut celle où chaque artiste interprétait une chanson québécoise qu'il aurait aimé avoir composée. Fallait entendre Pierre Harel chanter "J'entends frapper", Andrée Watters et Sébastien Plante se donner la réplique dans "1990", France D'Amour s'investir dans "Rideau" (avec double cognac!) ou Vincent Vallières exposer son alignement d'autos de rêve dans "Dolorès". Un moment où chacun était vraiment en mode célébration!

Mais la question de fond suscitée en moi par les commentaires entendus m'a quand même suivi sur le chemin du retour: qu'est-ce qu'une musique ou une chanson de Fête nationale? La meilleure façon d'explorer le sujet serait de regarder autour de nous. Qu'est-ce, par exemple, qu'une chanson de fête nationale un 14 juillet en France ou à La Réunion? Un 25 mai à Buenos Aires? Un 1er janvier à Haïti? Le 4 juillet à New York ou bien à Seattle? Fort probablement que la réponse serait aussi variée qu'il y a de communautés locales, la plupart se contentant de leur répertoire favori, versant parfois dans une certaine nostalgie, inversement proportionnelle à l'âge mais pas nécessairement. Pourquoi, chez nous, un répertoire convenant à cette date serait-il problématique et devrait-il supposer une approche... disons formatée? Le besoin de proposer un certain répertoire comme national, de préférence à un autre, est sans doute un symptôme du manque collectif qui affecte le Québec et auquel faisait naguère allusion Gilles Vigneault. À un interlocuteur qui lui reprochait un jour de trop parler du pays, le poète de Natashquan répondait que « c'est lorsque quelque chose nous manque qu'on en parle le plus! » Voilà un énoncé qui mérite réflexion!