Actualités

Il y a 50 ans, la chanson québécoise prenait le virage pop de la modernité

Un rappel historique de Richard Baillargeon

4 janvier 2007 (QIM) – L'année 2007 est un anniversaire qui mérite d'être souligné dans la trop courte et trop méconnue histoire de la chanson québécoise moderne. Il y a cinquante ans, le milieu musical était chez nous le cadre d'un chambardement joyeux qui précédait de quelques années ce qu'on nommera la révolution tranquille! Outre le fameux Concours de la chanson canadienne qui allait faire date, l'année 1957 verra un rajeunissement de l'industrie locale du disque ainsi que l'apparition à la fois d'une nouvelle génération de vedettes et d'un nouveau public.

Bon, reconnaissons que cette effervescence avait débuté dès 1956 et qu'elle se prolongera tout naturellement au cours des décennies suivantes; l'année 1957 n'en représente pas moins un pivot autour duquel allait s'articuler l'essentiel de ce redressement majeur. Jusqu'alors, une seule maison de disques locale faisait face aux géants d'une industrie déjà largement mondialisée: Compo, établie à Lachine en 1918, et ses étiquettes Starr et Apex. Plusieurs vedettes du moment avaient cependant leurs voix gravées par les filiales des étiquettes internationales, soit RCA Victor, Columbia et Epic, qui partageaient depuis peu leur quasi-monopole avec les London, Barclay, Pathé ou Angel. Les nouveaux joueurs locaux, Météor, Dominion ou Sandryon, ne prendront leur réel envol qu'en 1957, en même temps que se multiplieront les Music Hall, Vedettes, Fleur-de-Lys et que renaîtra Alouette, l'étiquette-maison des Éditions Archambault qui donnera bientôt naissance à Sélect.

Du côté des créateurs, on est témoin d'un élan sans précédent de jeunes auteurs-compositeurs, sans doute influencés par les succès parisiens de Félix Leclerc et de Raymond Lévesque. Le premier est revenu au Québec et rédige les textes d'un téléroman intitulé Nérée Tousignant où un jeune comédien gratte la guitare... il se nomme Marc Gélinas et gravera son premier disque quelques mois plus tard. Quant à l'autre, s'il enregistre et vit toujours en Europe où deux de ses chansons ont accédé aux palmarès de l'Hexagone, interprétées par un compère nord-américain installé à Paris (Eddie Constantine), il revient tout de même de ce côté de l'océan pour un bref séjour en début d'année.

Prenant exemple sur ces deux pionniers, des centaines de paroliers et de compositeurs en herbe, et d'autres plus expérimentés, présentent leurs textes et/ou mélodies au concours déjà cité. Un certain nombre de chansons soumises auront l'heur d'être créées lors de l'une des éditions hebdomadaires de l'émission Concours de la chanson canadienne, diffusée sur le réseau français de la radio d'état, et les douze lauréates seront interprétées lors d'un gala télévisé, au terme de la saison, et gravées par Pathé sur un album souvenir. Cette initiative donnera l'occasion, entre autres, à Jacques Blanchet, Camille Andréa, Paul Aubert, Yves Beauparlant, René Tournier, Jean-Louis Faguet, Lucien Brien, Julien Martineau, ainsi qu'aux vétérans Roland D'Amour et Lionel Daunais, de faire valoir leur inspiration via les voix de Lucille Dumont, Dominique Michel, Rollande Des Ormeaux, Colette Bonheur, Robert L'Herbier et Michel Noël.

Parallèlement au Concours de la chanson canadienne, radiodiffusé sur le réseau radio-canadien, d'autres stations de radio offraient aussi une fenêtre ouverte sur les créations locales: CKAC (En chantant dans le vivoir), CKVL (Les chansonniers canadiens), CHRC (Mes chansons, avec Gemma Barra puis Hervé Brousseau, bientôt suivis par le mouvement Créations de Québec), de même que CHLT et diverses antennes régionales.

Sous la double impulsion de ces concours et de l'émergence du rock'n roll chez nos voisins du sud (Roger Miron ne chante-t-il pas « J'écoute Elvis et j'pense à l'année cinquante-six » dans son manifeste "En avant le rock'n roll"?), c'est une nouvelle génération d'auditeurs qui manifeste son goût pour une chanson renouvelée et une sorte de frénésie locale qui atteint à la fois les artistes de variétés (Michèle Sandry "Juke-box rock'n roll", André Lejeune "Qu'est-ce que le rock'n roll?", Denyse Filiatrault "Rocket rock'n roll") et les nombreux tenants du style western (Marcel Martel "Mon amour du rock'n roll", Freddy Gagné "J'ai perdu mes souliers en dansant le rock'n roll", Willie Lamothe "Rock'n roll à cheval").

Pour terminer ce tour d'horizon de la scène musicale québécoise d'il y a un demi-siècle, mentionnons aussi le disc-jockey vedette de CHLP, Fernand Gignac qui gravera à l'automne son premier 45 tours/78 tours "Je n'ai fait que passer", l'enfant-vedette Pière Sénécal qui faisait ses débuts à 14 ans et le groupe tropico-québécois Les Maniboulas qui venaient se mesurer aux vedettes établies que représentent les Oscar Thiffault, Ti-Blanc Richard, Les 3 Bars, La famille Soucy ou, depuis quelques années, Paolo Noël et Jen Roger. Les humoristes n'étaient pas en reste avec le Père Gédéon, Ti-Gus et Ti-Mousse ou, pour les plus intellectuels, Les Scribes. Mais le plus grand éclat était encore à venir, avec la participation-éclair d'un certain Michel Louvain au Gala des Splendeurs, au Colisée de Québec, en mai 1958!

Jetons enfin un regard ou plutôt: tendons l'oreille à la ronde, à la recherche des 5 pièces marquantes de 1957 sur les divers marchés auxquels les auditeurs québécois pouvaient avoir accès, quoique plus ou moins directement!

De source québécoise

  • "Sur l'perron" de Camille Andréa par Dominique Michel
  • "Aide-toi et le ciel t'aidera" de et par Marc Gélinas
  • "La parenté" de et par Jean-Paul Filion
  • "Le ciel se marie avec la mer" de Jacques Blanchet par Lucille Dumont
  • "Un p'tit bécot" de et par Roger Miron

France

  • "Bambino" par Dalida, Gloria Lasso, Georges Guétary
  • "Que sera sera" par Doris Day, Jacqueline François, Patachou
  • "Tu n'as pas très bon caractère" par Dalida
  • "Marjolaine" par Francis Lemarque
  • "Je m'en vais revoir ma blonde" par Dario Moreno, Yvette Giraud

U.S.A.

  • "All Shook Up" par Elvis Presley
  • "Love Letters In The Sand" par Pat Boone
  • "(Let me be your) Teddy Bear" par Elvis Presley
  • "Jailhouse Rock" par Elvis Presley
  • "April Love" par Pat Boone

Angleterre

  • "Diana" par Paul Anka
  • "Young Love" par Tab Hunter
  • "All Shook Up" par Elvis Presley
  • "Cumberland Gap" par Lonnie Donegan
  • "Garden Of Eden" par Frankie Vaughan

Références consultées: revue Dis-Q-Ton et Journal des Vedettes de l'année 1957, revues Rendez-vous 93 et Rendez-vous 94 de la SARMA ainsi que les livres Hit Parade 1950-1998 par Daniel Lesueur, Top Pop Singles 1955-1986 par Joel Whitburn's et Rock Almanac par Stephen Nugent et Charlie Gillett.